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La supercherie Olivennes, ou la candeur politique face au piratage intellectuel

Denis Olivennes, dans son rapport sur la lutte contre le piratage intellectuel, a écrit :

« Il s’agit de rendre plus difficile et plus couteux le téléchargement illégal, et, inversement, plus facile et moins cher le téléchargement légal. »

Cette phrase est illustrative de la nature de ce rapport. Sur le plan pratique, il est irréaliste en proposant des solutions impossibles à mettre en œuvre. Sur le plan logique, il fait preuve de mystification en plaçant le débat sur le mauvais terrain.

Sur la faisabilité technique tout d’abord. Aucune des solutions proposées ne peut permettre un contrôle pratiquement réalisable et suffisamment exhaustif des échanges de fichiers illégaux n’empiétant pas sur la liberté individuelle des utilisateurs ou ne pénalisant pas les échanges légaux. Le contrôle de ports et de protocoles, le filtrage d’URL ou d’adresses IP, le marquage numérique sont des chimères lorsque la zone de contrôle est grande comme la planète, quand les utilisateurs contrôlent l’ensemble du cycle de piratage et ont accès aux technologies de cryptage et d’anonymisation les plus récentes.

Sur l’attractivité de l’offre légale ensuite. Il est dur d’imaginer que Mr Olivennes soit suffisamment candide pour effectivement croire qu’une large majorité de la population délaisse l’offre légale car elle est trop compliquée à utiliser. C’est une part si restreinte de la vérité qu’elle en est grotesque. Il s’agit d’être réaliste : les utilisateurs consomment l’offre illégale car elle est gratuite, et qu’elle constitue une bonne revanche sur le système en place.

Ce dernière explication n’est pas la moindre : de tout temps le piratage a autant constitué un moyen de s’enrichir facilement que de se rebeller contre le pouvoir en place. Les autorités ont choisi de désigner par « piratage » la mise en commun des ressources culturelles, elles doivent logiquement assumer les conséquences syllogiques de ce choix lexical. Que l’industrie peut elle attendre de consommateurs chaque année pris en otage par une politique tarifaire délirante ? Les instances culturelles ont beau jeu de tirer la corde sensible du juste prix de la culture quand une place de cinéma en 2008 coute 10 euros et une place de comédie musicale 80. Le piratage constitue une trop belle occasion pour le consommateur de prendre sa revanche sur le système.

Deux alternatives crédibles au piratage s’offre, à mon sens. La première sauve l’industrie cinématographique aujourd’hui. Si, en effet, les ventes de disques et de DVD s’effondrent, la santé du cinéma reste vigoureuse. Pourquoi ? Parce que les citoyens sont prêts à payer moins la propriété intellectuelle que l’expérience en elle-même. Contrairement aux arguments débilisants de l’industrie, l’expérience d’un film téléchargé reste peu ou prou la même que celle d’un film acheté. L’expérience d’une salle équipée des dernières technologies digitales, projetant sur un écran de 150 m ², reste en revanche incomparable et justifie les prix élevés pratiqués par les circuits.

Concernant la sphère privée, la révolution pourrait bien venir d’ailleurs. Longtemps conférée au rayon SF, les écrans 3D deviennent une réalité de plus en plus palpable. Sony et Phillips ont récemment présentés des équipements grands publics qui devraient être rapidement abordables, tandis que la production de contenu en relief devrait s’accélérer.
Avantage décisif pour l’industrie : si le contenu en relief n’engendre pas un surcoût de production très important, il créé cependant de hautes barrières au piratage.

La deuxième alternative est moins réjouissante car elle est axée sur la régulation plutôt que sur l’innovation. Elle pourrait cependant être rapidement mise en œuvre, pour de simples questions de survie du réseau mondiale. La lutte contre le piratage ne serait en effet qu’un corollaire d’une politique de contrôle qui a pour ambition première de réguler le volume de données transitant par les réseaux. Un récent rapport de spécialistes s’inquiète en effet d’une possible saturation des réseaux à court terme, due au développement exponentiel du haut débit. Une solution crédible est actuellement à l’essai par un fournisseur d’accès à Internet dans le sud des Etats Unis : casser le modèle tarifaire forfaitaire pour adopter un paiement au volume. Si cette politique de prix ne devrait pas pénaliser les utilisateurs médians d’Internet, les gros volumes de données devraient rebuter les abonnés (un film « pèse » 10.000 fois plus lourd que la une du Monde).

Par l’innovation ou par la régulation, le piratage peut être menacé à court terme. Certainement pas par les prétentieuses mesures de Monsieur Olivennes, mais plutôt par une évolution naturelle de l’écosystème numérique.