la rétention de sûreté, une double peine?

Robert Badinter a dit :

« L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. » [1]

La justice pénale a pour but la rétribution de la blessure sociale et la réinsertion du délinquant, du criminel, selon les doctes phrases de la doctrine.

Ou devrait-on dire, avait pour but.

La nouvelle loi adoptée par le Sénat le 7 février dernier – et en partie validée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008[2] – est une loi d’élimination.

Elle prévoit que les personnes présentant une  » particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive… » pourront être placé en rétention de sûreté, à condition qu’elles aient été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans.

Ce n’est donc plus l’acte, le crime en lui-même qui va justifier une privation de liberté telle que la rétention de sûreté mais une dangerosité liée à la seule personnalité.

Qui va être « juge » de la personnalité ? Le psychiatre.

Discipline dont on connaît l’exactitude au point que la possibilité des contre et nouvelles expertises est largement utilisée par les acteurs du procès pénal tant ils connaissent les divergences d’une expertise psy à l’autre.

Mais quel expert prendrait le risque d’effectuer un tel pronostic de probabilité de récidive ?

Il se trouverait en effet face à deux hypothèses toutes deux à rendre…. fou :

maintenir, de façon permanente une personne en rétention de sûreté parce qu’elle aurait pu très probablement (mais pas certainement), après avoir effectué sa peine, récidiver…

où considérer que cette personne ne devrait « probablement » pas récidiver et en conséquence la laisser en liberté…

Oui, mais le probable n’étant pas certain, dans le premier cas, on enferme à vie une personne qui, coupable d’un crime pour lequel elle a déjà purgé sa peine en purge une seconde à vie pour le « crime virtuel » que lui prêtent des psys et dans la seconde hypothèse, on prend le risque de laisser en liberté un récidiviste qui aurait échappé au pronostic d’un expert…

Badinter soulignât l’absurdité inhumaine du système :

« Au nom du principe de précaution criminelle, on maintiendra en détention « thérapeutique » des êtres humains auxquels aucune infraction n’est imputée, par crainte qu’ils n’en commettent une !

Paradoxalement, cette loi pénale friande de « probabilité », fait fi des statistiques.

Contrairement aux idées reçues, la récidive en matière de crime est la plus rare selon les statistiques judiciaires elle-mêmes :

Le taux de récidive est de 2,6% pour la récidive légale retenue par les juridictions en 2002. Si l’on prend les personnes libérées en 1996/97 et qui sont retournées en prison dans les cinq années suivantes, les taux sont encore plus bas, de l’ordre de 5 pour 1000.

Le plus significatif est que le nombre de condamnés en récidive de crime baisse constamment. La baisse de 1996 à 2003 est de 57%, le nombre de personnes condamnées pour crime en état de récidive baisse régulièrement: de 133 en 1996 à 57 en 2003[3].

La récidive de crime sexuel dans les 5 ans après la libération est de 1%…

Par ailleurs, la libération conditionnelle est un frein important à la récidive.

Le dispositif prévu semble donc totalement inadapté et ne répond pas au problème toujours actuel du manque de moyens notamment de la psychiatrie publique et pénitentiaire.

Les tribunaux sont déjà bien en peine d’obtenir des psychiatres pour le suivi des victimes et des enfants en danger et en souffrance. Alors ….

Le texte prévoit que « La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure. »

Il suffit de survoler le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatif à sa visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006 pour comprendre que le minimum de dignité ne peut déjà pas être assuré au sein des prisons françaises… Alors imaginer que la France aura les moyens de mettre en œuvre des centres avec « une prise en charge médicale, sociale et psychologique »…

Une société sans crime existe-t-elle ? Une société sans risque existe-t-elle ?

Rappelons nous que l’INSERM dans une expertise collective publiée le 22 septembre 2005 préconisait de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de trois-quatre ans, les signes « prédictifs » d’une délinquance future[4].

En avril 2007, dans Philosophie Magazine, Nicolas Sarkozy dialoguant avec Michel Onfray ne disait pas qu’il pensait que l’ « on naît pédophile ».

Ce dispositif s’inscrit dans un contexte extrêmement sécuritaire de tentative (vaine) d’élimination du risque qui permet de maintenir la population dans la peur plutôt que de l’éduquer.

 

La confortation des peurs et le recours à la psychiatrie par le politique a un ptit air de déjà vu de l’Histoire des plus désagréables et des plus inquiétants[5].


[2] Décision n°2008-562 DC – 21 février 2008 http://www.conseil-constitutionnel.fr

[3] La récidive, mobiliser l’intelligence, non la peur, Serge Portelli, Magistrathttp://comm.justice.lesverts.fr/IMG/doc/Portelli.doc

[4] Voir en réponse, l’avis du Comité Consultatif National d’Ethique

http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis095.pdf

[5] Henri Donnedieu de Vabres, La crise du droit pénal moderne, La politique criminelle des Etats Autoritaires, Sirey, 1938. ( et notamment le commentaire des Code pénal italien de 1930 et code pénal allemand de 1933)

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